Wikiprogress Africa

mercredi 22 août 2012

Quels instruments pour mesurer le bien-être de la population?

Par : Khalid Soudi, HCP

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Les questions relatives à la mesure du bien-être sont aujourd’hui au coeur des débats multidisciplinaires, et figurent au premier plan des priorités internationales dans le domaine des statistiques, non seulement en raison de leur pertinence dans la promotion de la qualité de vie et de l’équité sociale mais également dans une perspective plus large de politiques économiques de lutte contre les inégalités aussi bien subjectives qu’objectives.

l’analyse multidimensionnelle du bien-être permettrait d’introduire une plus value dans la compréhension de la situation des ménages, la répartition des richesses et les inégalités, la qualité de la vie, et la soutenabilité de l’organisation sociale. Tels objectifs ne pourraient être atteints que partiellement au moyen des indicateurs statistiques classiques.

Dans ce cadre, la commission Stiglitz (2009) a souligné l’incapacité des instruments de mesure des performances économiques à évaluer pertinemment le bien-être sociétal. Le rapport de la commission notifie que la croissance mesurée par le PNB ou le PIB ne pourrait rendre compte « des impacts qu’elle apporte aux conditions humaines ».

Le PIB ne saisit pas ce qui accompagne la vie quotidienne comme la santé, l'éducation, la qualité de la vie et l'environnement (la déforestation, la qualité de l'air, la pollution..). En d’autres termes, cet indicateur comptable n’est pas en mesure de traduire la situation du bien-être de la population dans ses différentes dimensions, notamment, économique, sociale et environnementale.

Inégalité et cohésion sociale : Éléments de politiques pour le bien-être de tous et le ciblage de la pauvreté

Par : Khalid Soudi, HCP

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Problématique
Un état social caractérisé par des disparités moins prononcées, voire acceptables, favorise le sentiment d’appartenance chez la population, et débouche sur une amélioration générale du bien-être social, et un renforcement de l’intégration des individus dans le processus de développement. Dans ce cadre, une société cohésive serait appelée à réduire en permanence les inégalités entre les individus, les groupes sociaux et les espaces territoriaux.

Or, face au creusement des inégalités, une part de la population, notamment les plus démunis, se trouve exclue du processus de développement, et crée des menaces qui pèsent sur la cohésion sociale. D’emblée, des inégalités persistantes dans un contexte où la mobilité socioéconomique est moins prononcée, conduisent au délitement des valeurs sociales et à la fragmentation des formes de solidarité, et créent, à l’échelle individuelle, un sentiment de frustration chez les personnes qui subissent ou perçoivent ces inégalités. C’est dire que la réalité des inégalités est révélatrice du degré de soutenabilité du modèle social en vigueur.

Dans son acception la plus courante, la cohésion sociale n’est pas seulement un moyen ou un but, mais plutôt un principe directeur de l’action publique (A. F. Poyato, 2011). Elle implique l’égalité des chances pour minimiser les écarts et assurer le bien-être de tous. Dans ce cadre, l’effort des politiques publiques doit être redéfini en faveur d’un développement inclusif qui vise à éluder les tendances inégalitaires et promouvoir l’équité sociale. En d’autres termes, la question de lutte contre les inégalités est une composante fondamentale de la cohésion sociale.

L’objectif global de ce papier consiste à répondre essentiellement à deux questions : quelle est la réalité de l’inégalité dans ses différentes dimensions ? Quelles politiques faut-il favoriser pour renforcer la cohésion sociale et le bien-être de tous ? Pour ce faire, la démarche analytique adoptée, fondée sur une approche empirique et comparative, repose sur un cadre d’analyse élargie de façon à contribuer à une meilleure compréhension de la problématique plurielle des inégalités au-delà de la dimension monétaire.

mardi 7 août 2012

Quelles stratégies pour la réalisation des OMD au Maroc


Par : M. Ayache KHELLAF et M. Abdelhak ALLALAT, Haut Commissariat au Plan, Maroc

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Abstract :
L’évaluation des réalisations des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) montre que le Maroc a enregistré des résultats satisfaisants dans ce domaine. Toutefois, la réalisation de ces objectifs, qui constitue une condition de valorisation des ressources humaines pour renforcer le capital humain disponible et sa contribution à la création de la richesse, suppose la mise en œuvre de stratégies appropriées dans les domaines sociaux concernés. Dans ce cadre, et sur la base d’un modèle d’équilibre général calculable qui offre une base technique pour les décideurs afin de conduire les arbitrages requis dans l’affectation sectorielle des ressources disponibles, des simulations ont été conduites pour mesurer les efforts consentis par les pouvoirs publics en faveur des OMD et analyser en conséquence les différentes variantes de financement possible ainsi que leur impact sur le comportement des agents économiques et la situation économique de manière générale. Une analyse en microsimulation est aussi conduite pour simuler l’impact de différentes stratégies de réalisation des OMD sur les inégalités. 

Inégalité, pauvreté et bien-être en Afrique, synergie d’ensemble et facteurs de contrôle


Par : M. Douidich Mohamed, Ingénieur statisticien-économiste, Haut -Commissariat au Plan (HCP). Les résultats de ce papier ont été présentés à la Conférence africaine sur la mesure du bien-être et la promotion du progrès des sociétés, organisée par le HCP-Maroc et l’OCDE , 19-21 avril 2012.

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Introduction


C’est sur cette question de conjonction entre, d’une part, les niveaux de pauvreté et d’inégalité, et, d’autre part, le bien-être, objectif et subjectif, que se penche le présent papier. Il montre que, jusqu’à présent, les pays africains les moins inégalitaires ne sont pas nécessairement les moins pauvres, et, inversement, les plus pauvres d’entre’ eux ne sont pas assurément les plus inégalitaires.

Sur le plan empirique, les indices du bien-être[1] ne sont supérieurs à la moyenne que dans le reste des pays africains, ceux où les indices de pauvreté et d’inégalité sont, tous les deux, inférieurs aux médianes respectives. Cet état des lieux remet en cause notre appréhension de la pauvreté et de l’inégalité, en relation avec le bien-être et, de là, les capacités[2] que devraient développer les pays africains, dans la voie d’une amélioration des conditions d’être.

La littérature disponible sur l’économie des niveaux de vie s’est, en fait, limitée à l’étude des changements dans la pauvreté, conséquents de ceux de la croissance et l’inégalité[3]. Elle n’accorde que peu d’intérêt à l’objectif d’une société, à la fois, moins pauvre et moins inégalitaire, antécédent d’une meilleure perception du bien-être.

Sur ce registre, le présent papier montre[4], dans une première section, que l’Afrique subsaharienne peine à améliorer le bien-être, face à une baisse de la pauvreté, inférieure au rythme escompté par les OMD[5]. En présence d’une croissance économique clairement anti pauvre, la reproduction sociale de la pauvreté ne peut-être abrogée qu’au moyen d’une redistribution de ressources publiques, favorable aux milieux démunis, option peu probable au regard de la faiblesse du pouvoir politique des populations pauvres (section 2).

D’où la vulnérabilité de l’Afrique subsaharienne à des niveaux encore élevés de pauvreté et d’inégalité, synonymes d’une faible diffusion du sentiment de bien-être (section 3). Certains pays africains ont pourtant pu construire des paysages sociaux plus soutenables, caractérisés par des niveaux réduits d’inégalité et de pauvreté et une perception du bien-être bien meilleure.

A la section 4, sont évaluées les capabilités que pareils pays développent, à l’aune de leur effet sur une mesure composite de la pauvreté et l’inégalité (section 4). Le but est d’appréhender les options qui, dans le contexte africain, infléchissent, à la fois, la pauvreté et l’inégalité, et diffusent le sentiment du bien-être.        


Réduire, de moitié, la pauvreté en Afrique 
Faut-il compter sur la croissance ?

Mesurée au seuil de 1,25 $ US PPA par jour et par personne, la pauvreté s’établissait en Afrique subsaharienne[6] (51,5%), aux débuts des années 1980,  à un niveau nettement inférieur à celui qui prévalait, à l’époque, dans les régions les plus pauvres, l’Asie  Sud (61,1%) et l’Asie Est-Pacifique (77,2%). Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne est, de loin, la région la plus pauvre (47,6% en 2008). Elle est aussi le dernier groupe de pays à avoir entamé la baisse de la pauvreté (Graphique 1).

Quoique fragile et hésitant, le recul du taux de pauvreté n’y a été amorcé, en fait, qu’à partir de 1999, après une hausse s’étalant sur toute la période 1981-99. Il s’opérait, entre 1999 et 2008, à un taux (-2.2% par an) inférieur à celui enregistré dans le reste des régions du monde[7] (Tableau 1). Ce taux est, de par la croissance démographique, insuffisant pour restreindre le volume des pauvres dans cette région du monde[8].
Tout comme il ne permettrait pas, de par sa modestie, d’atteindre, à temps, la première cible des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), voire la réduction, de moitié, entre 1990 et 2015, de la pauvreté. Au moment où les autres régions tendent, toutes, à réduire, de plus de moitié, avant l’horizon 2015, le niveau de pauvreté qu’elles observaient aux débuts des années 1990 (tableau 1).

En effet, la poursuite de la tendance à la baisse qu’affichait, à la dernière décennie, la pauvreté fait que la fraction des pauvres s’établisse, en Afrique subsaharienne, à près de 40% à l’horizon 2015.  Ramener le taux de pauvreté dans cette région à 28% en 2015, valeur cible des OMD,  nécessiterait, au niveau d’inégalité courant, une croissance du revenu national brut par habitant de 8,9% par an, le long de la période 2009-2015. Or,  en Afrique subsaharienne, cet agrégat n’augmentait, le long des 30 dernières années, qu’à raison de 1,4% par an.
Ce qui montre, encore une fois, que la croissance ne permettrait pas, à elle seule, de réduire la pauvreté à la vitesse escomptée. D’où l’intérêt des politiques de développement et de croissance, axées sur l’équité sociale, base d’une croissance nécessairement pro-pauvre.   
Abroger la reproduction sociale de la pauvreté 
Equité sociale ou pauvreté de masse

C’est généralement au moyen d’une redistribution, sociale et géographique, des ressources publiques, favorables aux localités et populations pauvres, que l’on peut faire face à la faible sensibilité de la pauvreté à la croissance économique. Cette option est partout sollicitée, mais elle est souvent écartée pour des raisons liées au faible pouvoir politique des segments pauvres de la société.

Les contraintes de survie parmi les individus pauvres sont assez ardues pour décourager tout engagement dans la défense des droits économiques et sociaux. Mais lorsqu’elles conduisent à une pauvreté de masse, ces contraintes entravent le développement de l’ensemble de la société[9]. D’où l’intérêt que revêt, à long terme, la croissance pro-pauvre[10] dans tout développement socialement durable.
Sur ce registre, de 1990 à 2008, la hausse du revenu par habitant en Afrique subsaharienne était presque deux fois plus grande que la baisse de la pauvreté. Autrement dit, le long des deux dernières décennies, il fallait deux points- pourcentage de croissance pour faire régresser la pauvreté d’un point-pourcentage.

En Europe-Asie centrale, la croissance économique était nettement inférieure à celle de l’Afrique subsaharienne durant la période. Mais elle est plus élastique à la pauvreté, dans la mesure où une croissance de 1% y fait reculer la pauvreté de 2,5%. Ces deux régions observaient, par ailleurs, aux débuts des années 1980, la même incidence de la pauvreté (près de 50%). 28 ans après, en 2008, la pauvreté est 2,4 fois plus grande en Afrique subsaharienne que dans l’Europe-Asie centrale.
C’est dire que, le long de la période analysée, la redistribution des revenus n’a jamais été suffisamment centrée sur les populations pauvres en Afrique subsaharienne. Cette région s’en trouve la plus inégalitaire ces dernières années, en termes de rapport inter quintile des revenus par habitant, juste après l’Amérique latine - Caraïbe, région historiquement connue pour ses écarts sociaux[11] (tableau 2).    

A court terme, en Afrique subsaharienne, comme partout au monde, les perspectives de réduction de la pauvreté grâce à l’équité sociale s’avèrent plus prometteuses que celles fondées sur la croissance économique. La pauvreté est, en fait, plus sensible aux changements dans l’inégalité que dans la croissance économique. 

En Afrique subsaharienne, le taux de pauvreté ne se réduit, en fait, que de 0,5% suite à une croissance des revenus de 1%. Alors qu’une réduction des inégalités de 1% (indice de Gini) y donne lieu à une baisse (2,0%) de la pauvreté, quatre fois celle qui résulterait d’un point de croissance économique.
En termes de niveau, ces élasticités indiquent que la pauvreté en Afrique subsaharienne est moins sensible à l’inégalité et à la croissance. Plus précisément, plus une région est ‘riche’ voire moins pauvre, plus la pauvreté y est mieux sensible aux changements dans la croissance et l’inégalité des revenus. Dans toutes les régions du monde, la pauvreté est, en fait, plus sensible aux inégalités qu’à la croissance économique (tableau 2).
Ceci rappelle le fait que, en Afrique comme partout au monde, la pauvreté n’est pas une fatalité. Tributaire du niveau de revenu par habitant (Graphique 2), elle est plus influencée par la répartition des richesses économiques et sociales que par leur croissance. D’où la nécessité de compter, à la fois, sur la croissance et l’équité pour infléchir davantage la pauvreté, particulièrement en Afrique subsaharienne. Il devrait en résulter une convergence vers de moindres niveaux de pauvreté et d’inégalité, préalable de toute avancée du bien-être.  
Tableau 1 : Evolution de la pauvreté et du revenu selon le groupe de pays. 
Groupe de pays
Taux de pauvreté (1,25 $ US PPA/jour/personne), en %
Changement entre 1990 et 2008, en %
1981
1990
1999
2008
Baisse de la pauvreté
Hausse du revenu par habitant
Afrique subsaharienne
51.5
56.5
57.9
47.5
-15.9
+28
Amérique latine - Caraïbe
48.8
44.7
45.7
31.4
-29.8
+42
Europe – Asie Central
48.2
39.6
51.2
20
-49.5
+20
Asie du Sud
61.1
53.8
45.1
36
-33.1
+119
Moyen-Orient et Afrique du Nord
9.6
5.8
5
2.7
-53.4
+44
Asie Est et Pacifique
77.2
56.2
35.6
14.3
-74.6
+352
Source : http://www.banquemondiale.org/ World Development Indicators 2012
Note : Nos calculs pour les changements entre 1990 et 2008.   





Tableau 2: Elasticités de la pauvreté et rapport inter quintile selon le groupe de pays. 

Groupe de pays
Elasticités en 2008 de la pauvreté par rapport(*) :
Rapport inter-quintile des revenus en 2009 (**)
au revenu par habitant
aux inégalités -  Gini
Afrique subsaharienne
-0.51
1.99

9.9
Amérique latine - Caraïbe
-0.91
2.55
16.1
Europe – Asie Centrale
-0.90
2.58
6.2
Asie du Sud
-0.39
1.9
5.4
Moyen-Orient et Afrique du Nord
-1.39
3.71
6.6
Asie Est et Pacifique
-1.06
3.25
7.9
Source : Nos calculs, basés sur les données – en coupe transversale- par pays en développement, au site http://www.banquemondiale.org/ World Development Indicators 2012 et au RDH 2010 et 2011 (PNUD)
Note : (*) Ces élasticités sont de court terme, et sont approchées, à titre indicatif, en ajustant le modèle suivant :
 
où p est le taux de pauvreté, y le revenu national brut par habitant, Gini l’indice d’inégalité, , ,  les paramètres du modèle et son terme aléatoire.
(**) Cette colonne le rapport de la part, dans le total des revenus, des 20% les plus riches de la population, à la part des 20% les plus pauvres. Ce sont des moyennes pondérées par la population totale des rapports inter quintiles par pays. 

Inégalité, pauvreté et bien-être
Le socialement soutenable 

Sur le registre des droits humains, économiques et sociaux, la réduction de la pauvreté monétaire est certes nécessaire, mais elle est insuffisante. Elle gagnerait à s’inscrire dans l’objectif du renforcement du bien-être au sens de la satisfaction de vivre dans l’ensemble, et de la satisfaction vis-à-vis du niveau de vie (cf. Notes et définitions,  annexe 2).
En effet, de par les changements, en cours de revendication dans les pays africains les  moins pauvres en particulier, la restriction du progrès social au recul de la pauvreté montre, aujourd’hui, toutes ses limites. Quel que soit le niveau de pauvreté, la diffusion des inégalités alimente les frustrations sociales qui, à leur tour, consacrent le sentiment de dénuement relatif voire la pauvreté subjective et le mal-être.   
A  titre d’illustration, comme on devrait s’y attendre, la hausse des inégalités entraine celle de la pauvreté. Dans le quintile des pays africains, les plus inégalitaires, la pauvreté est 1,9 fois plus grande que dans le quintile le moins inégalitaire.  Cette hausse de la pauvreté avec les inégalités induit, à son tour, une détérioration du bien-être.
C’est ainsi que dans les 20% les plus équitables des pays, les populations se considèrent plus satisfaites vis-à-vis du niveau de vie (54.1%) et éprouvent plus de satisfaction de vivre dans l’ensemble (5.4/10). Ces indicateurs s’établissent, parmi les 20% les plus inégalitaires des pays,  à des niveaux (resp. 37,4% et 4,3/10) nettement inférieurs.
Il en ressort que les pays où les conditions d’être sont meilleures sont ceux où la pauvreté et l’inégalité s’établissent, toutes les deux, aux niveaux les plus bas. Autrement dit, les paysages sociaux souhaitables sont intuitivement ceux où les populations ne sont exposées ni à des privations matérielles aigues, ni à des frustrations dues aux écarts en conditions de vie.   
D’où l’idée de segmenter les pays africains en groupes différenciés selon le niveau de pauvreté et d’inégalité, et d’analyser ce qui caractérise les pays, à la fois, moins pauvres et moins inégalitaires.

Comme le montre le schéma ci haut, cette segmentation donne lieu à quatre groupes de pays africains, (i) ceux où les indices de la pauvreté et l’inégalité sont, tous les deux, inférieurs aux médianes respectives[12], pays dits socialement soutenables ; (ii) ceux où ces indices sont supérieurs, tous les deux, aux médianes; (iv) ceux où la pauvreté est supérieure à la médiane et l’inégalité en est inférieure ; et (v) ceux où la pauvreté est inférieure à la médiane et l’inégalité en est supérieure.
La comparaison des profils des groupes (i) et (ii) permet de saisir les capabilités qui, à la fois cause et effet, interfèrent avec la synergie entre la pauvreté et l’inégalité.
Construire un pays socialement soutenable
Quelles capabilités développer ?

On se livre ici à une tentative d’appréhension de ce qui fait que certains pays africains soient ‘socialement soutenables’, c’est à dire ceux ayant un taux de pauvreté et un indice d’inégalité -Gini- inférieurs, tous les deux, à leurs valeurs médianes respectives. Il s’agit de dresser le profil de pareils pays, en vue de s’enquérir des caractéristiques, causes et effets, des contextes les plus performants en matière de pauvreté et d’inégalité.

Profil des pays socialement soutenables

Sur le plan descriptif, les pays africains qui joignent des niveaux d’inégalité et de pauvreté, inferieurs, tous les deux, aux médianes africaines, sont ceux dits ici ‘socialement soutenables’. Ces pays ont développé, dans l’ensemble, des capabilités collectives et individuelles fondamentales. Comparés aux pays où l’inégalité et la pauvreté sont, toutes les deux, plus élevées que les médianes en Afrique, ils présentent, d’abord, un taux de croissance démographique inférieur de 28,9%.

A la fois cause et effet, ce gain relatif en croît démographique aurait certainement favorisé l’investissement dans le capital humain. Pareils pays ont, en fait, une survie scolaire supérieure d’une année, un taux d’encadrement à l’enseignement 1,2 fois plus performant, une satisfaction vis-à-vis de la santé personnelle plus élevée de 7,6%, et une prévalence du VIH parmi les adultes 4,0 fois plus réduite, en comparaison avec les pays, à la fois, plus pauvres et plus inégalitaires.

Quoique encore modestes, les avancées qu’affichent les pays africains, à la fois, moins pauvres et moins inégalitaires, en démographie et capital humain, font que le revenu par habitant y soit non seulement mieux réparti ; mais aussi 2,8 fois plus grand. Le niveau de vie y serait plus important que ce qu’exprime le revenu par habitant, eu égard à l’accès de leurs populations à des prestations sociales, souvent subventionnées, sinon gratuites.
         
En effet, si seulement près du 1/4 de leur population est privée d’accès à l’eau potable, ce rapport s’élève à 2/4 dans les pays, à la fois, plus pauvres et plus inégalitaires. Il s’établit à 3/10 contre 8/10 pour l’électricité et à 4/10 contre 7/10 pour l’assainissement, respectivement.

Il en ressort que les privations qui sévissent dans les pays les plus inégalitaires et les plus pauvres expriment, entre autres, un manque de redistribution de richesses par le biais des investissements sociaux. Ces privations s’ajoutent, évidemment, à d’autres dénuements aussi contraignants que la sous-alimentation. Celle ci affecte près de la moitié de la population des pays plus pauvres et plus inégalitaires, contre une personne sur cinq dans les pays dits socialement soutenables.   

A côté de la sous-alimentation, les pays à fortes pauvreté et  inégalité connaissent une grande diffusion de l’emploi sous-rémunéré, cause de pauvreté laborieuse. Si, en effet, seule une personne employée sur cinq vit de moins de 1 $ US PPA par jour dans les pays socialement soutenables, les 3/4 des employés sont dans cette situation aux pays, à la fois, plus pauvres et plus inégalitaires.

Faut-il en retenir que le succès relatif des pays socialement soutenables revient, en partie, à leur investissement non seulement dans la sécurité alimentaire, mais aussi dans l’éducation et la formation, voire le rendement du capital humain ? En tout cas, c’est dans ce groupe de pays que s’affichent des niveaux, relativement limités, de la pauvreté alimentaire et laborieuse.  

Les pays, moins pauvres et moins inégalitaires, offrent, en outre, de meilleures conditions de sécurité, préalables de confiance dans les institutions, de conditions favorables à l’initiative privée et de viabilités politique, sociale et économique. Le taux d’homicide est 2,4 fois plus grand dans les pays  inégalitaires et pauvres. Ce rapport est de 1,4 fois  pour l’incidence des victimes d’agressions (cf. annexe 2). 

Les privations qui sévissent dans les pays africains, les plus pauvres et les plus inégalitaires, y consacrent, bien entendu, un taux de pauvreté 3,7 fois plus grand, et un indice d’inégalité, Gini, 2 fois plus grand que ce qui règne dans les pays, à la fois, moins inégalitaires et moins pauvres.

Il est alors tout à fait logique que le mal-être sévissant dans les pays africains joignant de forts niveaux de pauvreté et d’inégalité entraine de faibles scores de satisfaction de vivre dans l’ensemble (3,7/10) et de satisfaction vis-à-vis du niveau de vie (44,6%). Rappelons que ces scores ne sont supérieurs à la moyenne que dans les pays les moins pauvres et les moins inégalitaires (resp. 5,7 /10 et 55,5%).

Sur le plan des droits et libertés, bien que le score de violation des droits de l’Homme soit légèrement favorable aux pays socialement soutenables, force est de constater que, quel que soit le niveau de pauvreté ou d’inégalité, les groupes de pays  africains traités ici sont, en moyenne, confrontés à des insuffisances juste perceptibles[13]. En fait, comparé au reste des continents, l’Afrique suivie de l’Asie enregistrent les scores les moins élevés aussi bien en terme de satisfaction au regard de la liberté qu’en terme de population traitée avec respect (graphique 3).

C’est dire que, jusqu’à présent, les gains en équité et pauvreté qu’auraient affichés certains pays africains ne sont pas, partout, le résultat de l’exercice des droits, économiques et sociaux, et des libertés. Ils s’identifient à des acquis sociaux peu pérennes, à moins qu’ils ne soient le produit de structures institutionnelles, économiques et sociales bien ancrées dans la société.

    Tableau 3: Profil comparé des pays africains selon le niveau de pauvreté et d’inégalité.


Indicateurs
Pays dont le taux de pauvreté et l’indice d’inégalité –Gini- sont tous les deux :
inférieurs aux médianes
supérieurs aux médianes
Durée moyenne de scolarisation, en année
4.78
3.80
Ratio : nombre d’élèves par enseignant
37.24
45.28
Prévalence du VIH parmi les adultes, en % des ’15-49 ans’
1.32
5.26
Revenu national brut par habitant, en $ US PPA 2008
4036
1429
Rapport inter-quintile  (part, dans le RNB,  des 20% les plus riches / part des 20% les plus pauvres)
6.3
12.4
Taux de pauvreté (au seuil de 1,25 $ US PPA /jour/personne) en %
17.4
64.1
Prévalence de la sous alimentation, en % de la population
19.87
44.75
Personnes employées subsistant avec moins d’un $ US PPA par jour en %
24.41
73.01
Population sans accès à l’eau potable 2008 en %
26.70
47.38
Population sans accès à l’assainissement en %
43.90
70.19
Population sans accès à l’électricité  en %
34.09
78.85
Taux d’homicide pour 100 000 personnes (atteinte intentionnelle à la vie d’autrui)
2.52
6.14
Taux de victimes d’agression, en % des personnes officiellement recensées comme ayant été agressées.
9.89
14.14
Score de violation des droits de l’Homme 2008 (dont torture, disparition, incarcération politique avérée, ..)
3.18
3.99
Score de satisfaction de vivre dans l’ensemble (sur dix)
5.70
3.73
Taux de satisfaction du niveau de vie, en %
55.48
44.57
    Source : Nos calculs à partir des données obtenues des Rapports sur le développement humain, 2010 et 2011.


[1] Comme le montrent les données présentées dans ce document (tableau 3), le score de la satisfaction de vivre dans l’ensemble n’est supérieur à la moyenne (5/10) que dans le groupe de pays africains où le taux de pauvreté et l’indice Gini d’inégalité sont, tous les deux, inférieurs aux valeurs  médianes. Aussi, c’est seulement dans ce groupe de pays que le taux de satisfaction vis-à-vis du niveau de vie dépasse la ligne de 50%. Pour la définition de ces indicateurs, se référer à l’annexe 2.  
[2] Au sens des ‘capabilités’.
[3] Mesurés au moyen de l’élasticité –croissance et –inégalité  de la pauvreté.
[4] Sur la base des indicateurs de la Banque mondiale, World Development Indicators 2012 et des Rapports (du PNUD) sur le Développement humain, 2010 et 2011.
[5] La première valeur cible des Objectif du millénaire pour le développement (OMD) consiste à réduire de moitié, entre 1990 et 2015, le niveau de pauvreté, mesuré à 1 $ US PPA par jour et par personne.  
[6] Le long de ce document, l’analyse est souvent restreinte à l’Afrique subsaharienne au lieu de l’Afrique toute entière, en raison des données disponibles qui ne sont désagrégées que selon des groupes particuliers de pays en développement, dont la région Afrique subsaharienne (cf. Annexe 2). Le reste des pays africains sont affectés à la région MENA.
[7] Il s’agit, en plus de l’Afrique subsaharienne, des groupes de pays suivants tels que définis dans http://www.banquemondiale.org/ World Development Indicators 2012, à savoir : Amérique latine – Caraïbe, Europe – Asie Centrale, Asie du Sud, Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), et Asie Est et Pacifique.
[8] Entre 1999 et 2008, l’effectif des pauvres dans cette région a augmenté à un taux de 0,29% par an, de 375,97 millions  à 386,02 millions d’individus, sachant que la baisse qu’il a entamée à partir de 2005 ne l’a pas encore ramené à un niveau inférieur à celui de 1999.
[9] « La population pauvre constitue, de par sa position dans l’échelle sociale, ses contraintes de survie et son pouvoir revendicatif, voire politique, un chaînon social, certes faible, mais potentiellement dangereux pour l’avenir du pays. En fait, la pauvreté ne se réduit pas à un simple déficit numérique des revenus et des aptitudes humaines d’une fraction de la population. Elle s’inscrit, au delà de la fracture sociale qu’elle creuse, parmi les facteurs d’échec des transitions économique, sociale et politique.» Douidich Mohamed (2008): Exclusion, inégalité et pauvreté: la transition sociale et ses déterminants. www.hcp.ma .
[10] Selon le concept « relatif » qui considère que la croissance est pro-pauvres si les pauvres en bénéficient relativement plus que les non pauvres, c’est-à-dire si la croissance est accompagnée d’une réduction des inégalités.

[11] Le Rapport sur le développement humain (PNUD, 2010) attribue les écarts sociaux en Amérique Latine – Caraïbe à l’inégale répartition des terres, des niveaux d’éducation et aussi à la forte valorisation du travail qualifié, outre le niveau élevé de la fécondité chez les ménages pauvres et les dépenses publiques régressives. 
[12]  En Afrique, à la dernière décennie, la médiane des indices d’inégalité - Gini - a été de 0.4360; celle de la pauvreté (au seuil de 1,25 $ US PPA par jour et par personne) a été de 46,7% en 2008.
[13] Ce constat se réfère à la situation en 2010, sachant que si les moyennes par groupe de pays ne sont pas assez différentes, des différences significatives sont cependant observées entre les pays.